VOUS ÊTES ICI : ACCUEIL MÉDIAS TÉLÉVISION ARTICLE - LA PLACE DE LA LANGUE CORSE À L’ANTENNE : UN BREF HISTORIQUE
Article - La place de la langue corse à l’antenne : un bref historique
Dernière mise à jour de cette page le 07/11/2012
A partir des années 1980, plus largement que ne l’a fait l’école, en provoquant une soudaine « mise en onde » de la réalité langagière, l’émergence médiatique du corse est venue bousculer les attitudes antérieures (nostalgie d’un corse réputé « pur » de tout contact, perplexité devant les conséquences linguistiques d’une modernisation importante du lexique, attachement aux dialectes plutôt qu’à la langue) [2] : « La “ spectacularisation ” soudaine d’un corse, jusqu’alors contenu dans les contextes et usages non formels, s’est faite sous un jour insolite et déconcertant, celui d’une parole réelle et vivante, employée mais non reconnue, car niée ou sanctionnée par le discours puriste ou normatif. Les « démiurges de la parole », acteurs des médias, ont ainsi et souvent malgré eux conféré existence et reconnaissance à cette parole corse en pleine mutation, soumise à la pression constante des langues et des messages dominants, mais vivante et utilisée par les membres de la communauté au mieux de leurs intérêts communicatifs avec une créativité hésitante mais active » [3]. Le deuxième niveau de difficultés est représenté par le matériau que ces journalistes ont à traiter. On rencontre ici l’état actuel d’une langue longtemps exclue des secteurs formels de la communication. Problèmes d’actualisation d’un code linguistique dépourvu d’un stock lexical indispensable à l’expression véhiculaire de la modernité, mais aussi difficultés qui tiennent à l’insécurité linguistique qui affecte les personnes intervenant dans le cadre d’interviews. [4] Il n’est pas rare que dans le cadre d’associations, de groupes, on délègue la prise de parole à un corsophone car finalement peu de personnes se sentent aptes à s’exprimer intégralement en corse : « Les moyens sont donc insuffisants. L’image du cameraman, le travail du monteur, le commentaire du journaliste ne sont pas suffisants : il faut, face aux micros, quelqu’un qui répond, qui parle, qui s’exprime. Troisième obstacle, et de belle dimension, qui apparaît très vite, trouver le “ corsophone de service ”, qui dans la rue, sur les lieux de l’actualité, dans un parti politique ou une association sera disposé à faire “ du son ” en langue corse » [5].
La création de FR3 Corse va marquer un bouleversement sans précédent dans l’usage du corse. Celui-ci est en effet utilisé dans les programmes les plus divers dans l’actualité, les magazines ou les documentaires. A cette époque, sur FR3 le journal est bilingue français-corse, son titre Corsica Sera et ses intertitres sont en corse, et, au cours de l’émission, les journalistes passent d’une langue à l’autre. Le fait d’utiliser le corse, hors d’un usage folklorique, séduit le public et la presse. Le périodique Kyrn dès la création du Corsica Sera, souligne ce fait « exceptionnel » : « Autre prodige, ils ont introduit la langue corse dans l’information avec un naturel absolu. Ici, la langue corse n’est plus réservée à certains sujets, ni à des personnes particulières. Elle va, elle vient, traitant sans difficulté apparente de la récolte des châtaignes, ou de la grève dans un libre service, de la mine d’amiante de Canari » [6]. Selon Sampiero Sanguinetti responsable de la rédaction de FR3 Corse, le choix de la langue corse devait traduire à l’écran la réalité des interactions sociales quotidiennes, marquées par le bilinguisme. L’enjeu est clair : permettre à tous de s’exprimer et de se retrouver. L’accès aux moyens modernes de communication est une des conditions de l’accès au développement dans une société moderne.
Dès lors, l’usage du corse à l’antenne fait subir à celui-ci une mutation conséquente. Une mutation qui apparaît alors comme « dérangeante ». L’usage de la langue corse gêne certains insulaires, surtout par le fait que celle-ci soit utilisée au journal télévisé de FR3 Corse. Pour ceux-ci, le corse ne devrait être utilisé que pour un usage folklorique, culturel comme ce fut le cas longtemps : « Si l’utilisation de la langue corse, en dehors du ghetto que constituent les émissions à caractère folklorique, a été aussi fortement contestée au nom de la défense de l’unité française aussi bien que de la pureté de la langue corse, c’est parce qu’ y était transgressée la séparation entre la langue officielle et la langue officieuse, entre l’espace public et l’espace privé. Le statut quasi officiel accordé à la télévision publique a contribué à conférer un caractère officiel à la langue dominée, ce qui constituait en dehors même de toute intention politique, un défi à la langue de l’autorité et de la légitimité » [7]. Face à ces critiques, rapidement, la direction de FR3 tente de freiner l’emploi des langues régionales à l’antenne. Dès 1984, Claude Marchand, directeur des programmes de la chaîne s’oppose à l’usage du corse dans le journal télévisé. Rien n’est fait pour favoriser les langues régionales alors que le temps d’antenne des décrochages est compté, comme le souligne cet article du magazine nationaliste U Ribombu : « La langue corse à RCFM ou à FR3, cela dépend du temps d’antenne disponible pour des émissions : si RCFM dispose de 18 heures quotidiennes, FR3 reste limitée à moins de 60 minutes par jour. Le temps d’antenne dont dispose, 60 min par jour, France 3 Corse ne permet pas de diffuser deux journaux, un en corse et un en français » [8].
Il est donc difficile au milieu des années 1980, de mener une véritable politique en faveur de la langue face aux pressions de la direction, mais aussi de nombre d’insulaires qui critiquent en premier lieu « la qualité du vocabulaire employé ». Jacques Thiers qui évoque dans son ouvrage plusieurs émissions de la radio RCFM mais aussi explique que la seule annonce d’une émission en corse sollicite la conscience linguistique dans la population et le désir d’exprimer un avis critique : les reproches pittoresques et malicieux que Saveria, une auditrice, adresse au corse des médias témoignent d’un désarroi de la fraction traditionnellement corsophone des locuteurs [9]. Cet exemple est valable pour la télévision. De plus, cette exigence de « qualité » se heurte à des difficultés dues à l’emploi du corse, comme nous l’avons vu, dans des domaines où il n’avait pas droit de cité.
A partir des années 1990, le corse reprend ses droits à l’antenne. Il faut savoir, en effet, que depuis 1992, la Corsebénéficie d’un statut juridique particulier, reconnaissant son identité culturelle et linguistique. En 1994, plusieurs innovations sont alors prévues : comme la création tous les jours, sauf le dimanche à 18h58, du Ghjurnale, « le Journal » « espace d’informations corsophones » en langue corse d’une durée de 6 minutes. Un mercredi sur quatre est diffusé Da vicinu « de près » en langue corse, présenté par Joseph Castellani et créé la même année. Le renouveau du magazine en langue corse est enfin arrivé. Le magazine Da Quì (d’ici), diffusé à partir de 1993, participe à la promotion de la langue corse. Le but de cette émission est de décliner l’insularité, pour mieux montrer une communauté partagée entre l’en-deçà et l’au-delà des monts, mais confrontée à des mutations inéluctables. Le corse, jusqu’alors langue du passé, devient la langue des mutations, de l’évolution. Quant à l’orientation de ce magazine, Jean-Marc Leccia l’explique dans la presse : « Tout l’effort va être porté sur les programmes, notamment sur les émissions comme Da Quì. En 1994, une nouvelle structure d’information en langue corse verra aussi le jour, cinq jours sur sept, pour une durée d’une dizaine de minutes. Objectif : trouver une formule différente du journal actuel sans faire tomber la langue corse dans une vision passéiste, purement culturelle ou rurale » [10] Ghjenti (les gens) qui remplace Da Quì en 1998, plus ouvert, plus actuel permet véritablement une ouverture du corse vers tous les types de sujets. Ces nouvelles initiatives ne rencontrent plus d’opposition, car, comme le dit à l’époque Jean-Marc Leccia sur la présence du corse à l’antenne : « Plus personne aujourd’hui ne pourrait s’opposer à ce dessein. Il y a onze ans, cela a pu entraîner des grincements de dents. Il n’y a plus aujourd’hui ni tabous, ni suspicions. Nous avons d’ailleurs signé une convention avec la collectivité territoriale qui joue très franchement la carte d’une collaboration de qualité dans l’intérêt du public » [11].
Ainsi, ces dernières années, la télévision régionale tente de nouveau de devenir un vecteur de la langue corse. France 3 Corse Via Stella réserve plusieurs créneaux aux infos en langue corse. On trouve aussi de nombreux magazines culturels en corse sur ces deux médias. La langue corse est souvent intégrée de façon très naturelle dans les programmes régionaux qui ne bénéficient pas de l’étiquette « émission en langue corse ». France 3 Corse a su introduire la langue corse dans différents programmes, ne la réservant pas exclusivement au journal télévisé. Aussi, le téléspectateur dispose d’un échantillon assez large de programmes où la langue corse, évolue sans aucune ambiguïté et sans tomber dans le folklore.
[1] J. Thiers, Papiers d’identités, op. cit. , p.212.
[2] J. Thiers, Papiers d’identités, op. cit. , p. 212.
[3] Idem.
[4] Idem.
[5] « RCFM-FR3 : Une information en langue corse », U Ribombu, 05/06/1987.
[6] « Quand on parle de culture ? », Kyrn, décembre 1982, p. 50.
[7] « Un regard de sociologue sur FR3 Corse : Fabiani », Kyrn, décembre 1987.
[8] « RCFM FR3 : Une information en langue corse », U Ribombu, 05/06/1987.
[9] J. Thiers, Papiers d’identités, op. cit. , p. 221.
[10] Idem.
[11] « Une télévision à part entière interview de Jean-Marc Leccia », La Corse-le Provençal, 16/12/1993.
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