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Article - L’essor d’une histoire carcérale en Corse

Dernière mise à jour de cette page le 02/01/2013

Cantons concernés : Aiacciu , Île-Rousse

Depuis quelques années, les ouvrages sur l’univers carcéral en Corse fleurissent comme un écho venu d’autres rives de la Méditerranée. En effet, un intérêt autour de cette question historique s’est affirmé dans certains pays du Maghreb. Au Maroc, des étudiants travaillent, lors de leur thèse de doctorat, sur les lettres et les écrits de ces prisonniers, intellectuels victimes de ce que l’on appelle « les années de plomb » où se succèdent troubles politiques et coups d’Etat comme celui du général Oufkir dont la fille ainée a publié l’ouvrage « Prisonnière ». En Corse, l’intérêt pour cette question est récent. Le cinéma en premier s’intéresse à ces nationalistes corses emprisonnés dans des centres pénitentiaires français qui apparaissent comme les « chefs » désormais contestés de cette réalité. Le Prophète a donc essayé, parfois de façon maladroite, de mettre un doigt sur cette place du Corse dans l’imaginaire carcéral français.

Pourtant, les témoignages ne manquent pas. D’anciens nationalistes, incarcérés dans les années 1980, ont raconté, évoqué cette expérience : Edmond Simeoni, le premier, dans Kyrn, livre une longue correspondance ; Marcel Lorenzoni, lui publie, Lettres de Fresnes...

Aujourd’hui, le regard se porte sur des périodes plus anciennes et surtout les supports se diversifient. Les divers pénitenciers qui bordaient Ajaccio ont fait l’objet d’études. René Santoni a ainsi été le premier à évoquer la Colonie Horticole de Saint-Antoine, exemple unique en France de « Bagne pour enfants » où trouvèrent la mort plus de 160 enfants en onze ans, venus du Continent pour des larcins mineurs, tels des « Jean Valjean ». Cet ouvrage a permis l’élaboration d’une BD qui rencontre un franc succès. « Le Bagne de la honte » de Frédéric Bertocchini et d’Eric Ruckstuhl a achevé de donner de la chair et de la matière à cette histoire.

Au cœur de cette histoire carcérale où tout est encore à défricher, Jacques Denis, élu municipal de Mausoleo a sorti un ouvrage au sujet original et nouveau sur les forçats corses au bagne de Toulon. Ce dernier depuis 1992 a entrepris de recenser les forçats corses de ce pénitencier. Il a pu retrouver des documents donnant accès aux noms, caractéristiques physiques et motifs de l’incarcération. Dans ce nombre, on compte des Acquatella, Agostini, Albertini, Alessandri, Andreucci, Antona, Anziani, Bartoli, Benedetti, Bonacorsi, Bozzi, Campana, Carbuccia, Carlotti, Casabianca, Casalonga, Casanova, Ceccaldi, Coti, Crescioni, Donsimoni, Emmanuelli, Felce, Filippi, Franceschi, Franceschini, Fumaroli, Giacobbi, Giorgetti, Giovannetti, Giudicelli, Giustiniani, Graziani, Guiderdoni, Giudicelli, Leandri, Leca, Leonardi, Luca, Malberti, Mancini, Mari, Mariotti, Maroselli, Massoni, Milani, Morelli, Musso, Nasica, Olivi, Orticoni, Paoli, Piazza, Pietri, Pietrini, Poggi, Poletti, Pompeani, Pozzo di Borgo, Prosperi, Ristori…

Son ouvrage revient alors sur la période 1748-1873 où 940 Corses ont purgé leur peine à Toulon. Des peines qui pouvaient être de droit commun ou politiques. Ainsi, Jacques Denis démontre dans son ouvrage que la présence de nombreux Corses dans ce bagne est éminemment liée à l’histoire de la Corse et à la présence française dans l’île. Des « bandits » disait-on, c'est-à-dire toute personne arrêtée. Le terme de terroriste était alors inconnu ! Jacques Denis nous le précise, la catégorie des prisonniers politiques était déportée sans procès, sans condamnation et sans précision de durée de peine : une « justice » d’exception.

L’ouvrage nous permet enfin d’appréhender les conditions de vie de ces forçats, les potentielles évasions, leur maladies et blessures, la mort souvent de ceux-ci mais aussi parfois leur libération. De 1749 à 1873 le nombre de Corses détenus s’est élevé vers les 1400. La Tour Royale de Toulon (une partie réservée), où étaient détenus les Corses, était l’endroit de détention aux conditions les plus atroces. Comme le dit l’auteur le chant « Barbara Furtuna, sorte ingrata » sublime ces souffrances inouïes et méconnues. Cela ne cadre pas toujours avec les définitions et l’histoire officielles. Un ouvrage complet et nécessaire pour poursuivre ce travail de mémoire.

Pour conclure on pourrait évoquer un aspect inattendu, la vision d’un prisonnier communard en Corse. Dans un article de Kyrn au milieu des années 80 Francis Beretti met en lumière le récit de Charles-Louis Delescluze, journaliste et parlementaire, républicain qui avait participé aux Révolutions de 1830, de 1848 et de la Commune (« De Paris à Cayenne, Journal d’un transport, par Charles Delescluze, Paris, A. Le Chevalier, 1889). Transporté en décembre 1857 dans l’ancien Hôpital de Corte puis à Ajaccio, il y passera deux mois. Il est reçu avec une cordiale hospitalité par les détenus corses, qui prennent des risques pour lui prodiguer confort, encouragement et respect. Dans « le déshabillé de la prison », cet homme ne voit, dans cette terre aperçue à travers des barreaux, qu’une « terre de liberté ». Cela nous change des avis courts, peu inspirés et injustes que l’on peut entendre hoqueter de temps à autre par les BHL et consorts.

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