Ne manquez pas...

Parcourez-ici les rubriques

VOUS ÊTES ICI : ACCUEIL LITTÉRATURE ET BIBLIOTHÈQUES COLOMBA (L'OEUVRE INTÉGRALE) CHAPITRE 7

Chapitre 7

Dernière mise à jour de cette page le 23/11/2012

VII

Soit que l'arrivée de sa sœur eût rappelé à Orso avec plus de force le souvenir du toit paternel, soit qu'il souffrît un peu devant ses amis civilisés du costume et des manières sauvages de Colomba, il annonça dès le lendemain le projet de quitter Ajaccio et de retourner à Pietranera. Mais cependant il fit promettre au colonel de venir prendre un gîte dans son humble manoir, lorsqu'il se rendrait à Bastia, et en revanche il s'engagea à lui faire tirer daims, faisans, sangliers et le reste. La veille de son départ, au lieu d'aller à la chasse, Orso proposa une promenade au bord du golfe. Donnant le bras à Miss Lydia, il pouvait causer en toute liberté, car Colomba était restée à la ville pour faire ses emplettes et le colonel les quittait à chaque instant pour tirer des goélands et des fous, à la grande surprise des passants qui ne comprenaient pas qu'on perdît sa poudre pour un pareil gibier.
Ils suivaient le chemin qui mène à la chapelle des Grecs d'où l'on a la plus belle vue de la baie ; mais ils n'y faisaient aucune attention.
“ Miss Lydia... dit Orso après un silence assez long pour être devenu embarrassant ; franchement, que pensez-vous de ma sœur ?
- Elle me plaît beaucoup, répondit Miss Nevil. Plus que vous, ajouta-t-elle en souriant, car elle est vraiment Corse, et vous êtes un sauvage trop civilisé.
- Trop civilisé ! Eh bien, malgré moi, je me sens redevenir sauvage depuis que j'ai mis le pied dans cette île. Mille affreuses pensées m'agitent, me tourmentent..., et j'avais besoin de causer un peu avec vous avant de m'enfoncer dans mon désert.
- Il faut avoir du courage, monsieur ; voyez la résignation de votre sœur, elle vous donne l'exemple.
- Ah ! détrompez-vous. Ne croyez pas à sa résignation.
Elle ne m'a pas dit un seul mot encore, mais dans chacun de ses regards j'ai lu ce qu'elle attend de moi.
- Que veut-elle de vous enfin ?
- Oh ! rien..., seulement que j'essaie si le fusil de monsieur votre père est aussi bon pour l'homme que pour la perdrix.
- Quelle idée ! Et vous pouvez supposer cela ! quand vous venez d'avouer qu'elle ne vous a encore rien dit. Mais c'est affreux de votre part.
- Si elle ne pensait pas à la vengeance, elle m'aurait tout d'abord parlé de notre père ; elle n'en a rien fait. Elle aurait prononcé le nom de ceux qu'elle regarde... à tort, je le sais, comme ses meurtriers. Eh bien, non, pas un mot. C'est que, voyez-vous, nous autres Corses, nous sommes une race rusée.
Ma sœur comprend qu'elle ne me tient pas complètement en sa puissance, et ne veut pas m'effrayer, lorsque je puis m'échapper encore. Une fois qu'elle m'aura conduit au bord du précipice, lorsque la tête me tournera, elle me poussera dans l'abîme. ” Alors Orso donna à Miss Nevil quelques détails sur la mort de son père, et rapporta les principales preuves qui se réunissaient pour lui faire regarder Agostini comme le meurtrier.
“ Rien, ajouta-t-il, n'a pu convaincre Colomba. Je l'ai vu par sa dernière lettre. Elle a juré la mort des Barricini ; et... Miss Nevil, voyez quelle confiance j'ai en vous... peut-être ne seraient-ils plus de ce monde, si, par un de ces préjugés qu'excuse son éducation sauvage, elle ne se persuadait que l'exécution de la vengeance m'appartient en ma qualité de chef de famille, et que mon honneur y est engagé.
- En vérité, monsieur della Rebbia, dit Miss Nevil, vous calomniez votre sœur.
- Non, vous l'avez dit vous-même... elle est Corse.... elle pense ce qu'ils pensent tous. Savez-vous pourquoi j'étais si triste hier ?
- Non, mais depuis quelque temps vous êtes sujet à ces accès d'humeur noire... Vous étiez plus aimable aux premiers jours de notre connaissance.
- Hier, au contraire, j'étais plus gai, plus heureux qu'à l'ordinaire. Je vous avais vue si bonne, si indulgente pour ma sœur !... Nous revenions, le colonel et moi, en bateau.
Savez-vous ce que me dit un des bateliers dans son infernal patois : "Vous avez tué bien du gibier, Ors'Anton', mais vous trouverez Orlanduccio Barricini plus grand chasseur que vous."
- Eh bien, quoi de si terrible dans ces paroles ? Avez-vous donc tant de prétentions à être un adroit chasseur ?
- Mais vous ne voyez pas que ce misérable disait que je n'aurais pas le courage de tuer Orlanduccio ?
- Savez-vous, monsieur della Rebbia, que vous me faites peur. Il paraît que l'air de votre île ne donne pas seulement la fièvre, mais qu'il rend fou. Heureusement que nous allons bientôt la quitter.
- Pas avant d'avoir été à Pietranera. Vous l'avez promis à ma sœur.
- Et si nous manquions à cette promesse, nous devrions sans doute nous attendre à quelque vengeance ?
- Vous rappelez-vous ce que nous contait l'autre jour monsieur votre père de ces Indiens qui menacent les gouverneurs de la Compagnie de se laisser mourir de faim s'ils ne font droit à leurs requêtes ?
- C'est-à-dire que vous vous laisseriez mourir de faim ?
J'en doute. Vous resteriez un jour sans manger, et puis Mlle Colomba vous apporterait un bruccio si appétissant que vous renonceriez à votre projet.
- Vous êtes cruelle dans vos railleries, Miss Nevil ; vous devriez me ménager. Voyez, je suis seul ici. Je n'avais que vous pour m'empêcher de devenir fou, comme vous dites ; vous étiez mon ange gardien, et maintenant...
- Maintenant, dit Miss Lydia d'un ton sérieux, vous avez, pour soutenir cette raison si facile à ébranler, votre honneur d'homme et de militaire, et..., poursuivit-elle en se détournant pour cueillir une fleur, si cela peut quelque chose pour vous, le souvenir de votre ange gardien.
- Ah ! Miss Nevil, si je pouvais penser que vous prenez réellement quelque intérêt...
- Écoutez, monsieur della Rebbia, dit Miss Nevil un peu émue, puisque vous êtes un enfant, je vous traiterai en enfant.
Lorsque j'étais petite fille, ma mère me donna un beau collier que je désirais ardemment ; mais elle me dit : "Chaque fois que tu mettras ce collier, souviens-toi que tu ne sais pas encore le français. Le collier perdit à mes yeux un peu de son mérite. Il était devenu pour moi comme un remords ; mais je le portai, et je sus le français. Voyez-vous cette bague ? c'est un scarabée égyptien trouvé, s'il vous plaît, dans une pyramide. Cette figure bizarre, que vous prenez peut-être pour une bouteille, cela veut dire la vie humaine. Il y a dans mon pays des gens qui trouveraient hiéroglyphe très bien approprié. Celui-ci, qui vient après, c'est un bouclier avec un bras tenant une lance : cela veut dire combat, bataille. Donc la réunion des deux caractères forme cette devise, que je trouve assez belle : La vie est un combat. Ne vous avisez pas de croire que je traduis les hiéroglyphes couramment ; c'est un savant en us qui m'a expliqué ceux-là. Tenez, je vous donne mon scarabée. Quand vous aurez quelque mauvaise pensée corse, regardez mon talisman et dites-vous qu'il faut sortir vainqueur de la bataille que nous livrent les mauvaises passions. - Mais, en vérité, je ne prêche pas mal.
- Je penserai à vous, Miss Nevil, et je me dirai...
- Dites-vous que vous avez une amie qui serait désolée... de... vous savoir pendu. Cela ferait d'ailleurs trop de peine à messieurs les caporaux vos ancêtres. ” A ces mots, elle quitta en riant le bras d'Orso, et, courant vers son père :
“Papa, dit-elle, laissez là ces pauvres oiseaux, et venez avec nous faire de la poésie dans la grotte de Napoléon. ”

suite

Texte anti-spam :*
La clé d'API reCAPTCHA n'est pas renseignée.

Soyez le premier à commenter cet article ! COMMENTER