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L'univers criminel féminin en Corse au 18ème siècle
Dernière mise à jour de cette page le 19/08/2013
Par Marie-Josée Cesarini–Dasso.
Docteur en droit
Criminologue
Membre correspondant de l’Académie européenne
Des lettres, des Sciences et des Arts
Prologue
Lors du dernier colloque présidé par E. Badinter, il apparaît que la gent féminine qui compose 51,6 % de la population française constitue à peine 3,4% des détenus soit exactement 2263 prisonnières recensées au 1 janvier 2011. Cependant les statistiques mettent en évidence une hausse constante de la criminalité féminine. Des données objectives dénoncent une inexorable poussée de ce phénomène. Le dernier rapport de l’observatoire national de la délinquance et de la Réponse pénale (ONRDP) en atteste : pas moins de 182.884 femmes mises en cause par la police et la gendarmerie rien qu’en en 2009, soit une augmentation de 3,2%par rapport à 2008. Outre le fait que leurs implications dans les atteintes aux biens (+7%) augmente à un rythme dix fois supérieur à celui des hommes, les femmes ont vu ces dernières années leurs participations à des faits de violences gratuites augmenter de 61,7 % en cinq ans .En 2010, 33.000 d’entre elles ont été interpellées pour des voies de fait ou des menaces. Plus grave 328 femmes ont été appréhendées pour violences sexuelles. Le dernier bilan de la gendarmerie nationale en 2013 indique l’implication de plus de 685 femmes dans des affaires de crimes et délits contre 232 en 2012. En ce qui concerne les homicides : sur 770 meurtriers mis en cause en 2009 figuraient 110 femmes soit, 14,3% du total. On souligne que la femme n’apparaît en tant qu’auteur que pour des raisons passionnelles (vengeance) de maladie mentale (folie) ou encore pour un mobile politique (terrorisme). En dehors de ces cas elles agissent en tant qu’auteurs dans 7% des affaires d’homicide. Alors que le meurtre masculin est plus fréquemment commis par deux ou plusieurs auteurs. Par ailleurs l’usage de l’arme à feu est souvent négligé lors du passage à l’acte. Quand les femmes passent aux aveux, ces derniers sont en général précis. Il s’agit de femmes qui ont commis un meurtre pour un motif précis, sur quelqu’un de précis et qui, si elles n’étaient pas confondues n’auraient sans doute plus fait parler d’elles.
Dans un monde changeant les institutions de Justice et de Répression ont pour devoir de faire évoluer la réflexion sur les questions de sécurité et de justice et de ne jamais craindre de remettre en question les acquis d’hier, sans la certitude non plus, qu’ils soient valables pour demain. Il leurs appartient de toujours nourrir le débat, d’y participer, d’en suivre les évolutions et de tirer les enseignements de l’Histoire pour le plus grand bénéfice de la collectivité publique.
La criminalité féminine en Corse au 18ème siècle
Au lendemain de la conquête française la Corse va s’installer dans une des périodes les plus agitées et violentes de son histoire. Les années 1768 à 1789 ont été retenues pour en faire l’étude, pour les raisons suivantes : d’une part l’histoire de la criminologie en tant que science débute au XVIIIe siècle en raison de la fiabilité des archives, la documentation y étant plus ferme, et d’autre part parce que ces années se situent sur la fracture entre l’ancien régime et le nouveau. Charnière qui se singularise par une recrudescence de la criminalité générale et par la violence politique. En France, à cette époque, la croissance de la criminalité est devenue l’obsession du temps. Pendant les dernières années de l’ancien régime le taux de criminalité progresse de 143 % dans le Parlement de Toulouse, 113% dans le parlement de Grenoble. En ce qui concerne la Corse en seulement 9 ans de la période étudiée la criminalité globale toutes sources confondues va s’élever à 170 %. Cette étude concernant l’univers criminel féminin en Corse, en la matière et à cette l’époque, n’avait jamais été étudiée scientifiquement auparavant. Pour le criminologue la femme est un des révélateurs, par excellence, de toutes les motivations humaines. En Corse entre 1768 et 1789 La criminalité féminine va transparaître en tant qu’expression de la vie économique, politique et du particularisme d’un peuple voué par son sol à une destinée particulière. Pour analyser la résurgence de la violence dans ces années charnières et en extraire la criminalité féminine, il a fallu examiner plus de 2000 dossiers, de la petite délinquance au crime de sang. Les bases essentielles de cette recherche, étant constituées par les archives de la Corse, de Gênes et de la Bibliothèque Nationale. Cette étude nous a réservé bien des surprises et amené sur des voies insoupçonnées, et il a fallu remettre en cause un certain nombre de mythes et de tabous Dans les plus anciennes civilisations méditerranéennes on traçait de la femme une épure parée de toutes les vertus que nul ne pouvait renier sous peine d’être discrédité. Puis, de cette femme idéale, selon les époques et les lieux, on s’en servait d’unité de mesure pour la conduite privée ou publique de toutes les femmes. C’était oublier que dans la nature humaine la femme aussi est faillible... En cette fin de XVIIIe siècle, la misère, le choc des cultures,mais surtout le statut social de la femme vont être le terreau de cette criminalité qui va apparaître, si l’on peut dire, au grand jour. Constat difficile, mais ce qui nous frappe le plus douloureusement ce sont les sanctions et les peines de l’Ancien Régime ,inhumaines aux yeux de l’homme moderne et qui furent appliquées aux femmes sans aucune atténuation pour leur sexe en raison, sans doute, de leur devoir d’exemplarité.
L’ordonnance de 1670
A sa venue la France voit tout de suite que le problème le plus grave et le plus urgent en Corse, est celui de la justice. A cet effet les institutions sont mises en place par ordre du roi à l’initiative de deux juristes éminents : René Charles de Maupeou et son file René Nicolas, qui se sont succédés comme garde des sceaux de 17763 à 1774. Voulant procéder sans heurts, ils laissent d’abord en vigueur les anciens "Statuti Civili" puis, ils font élaborer le Code corse dont la publication commence en 1778. Mais les mesures que l’on a bien voulu accepter de Paoli, on ne les supportera pas de la France Devant la recrudescence insurrectionnelle, il s’agit de rétablir à toutes forces l’équilibre rompu. La France va remettre alors en vigueur l’ordonnance de 1670. Les moyens utilisés à cette fin conservent dans l’ensemble toute la rigueur archaïque que l’on a bannie en France : instruction secrète, tortures et atrocité des supplices sont maintenues. Il s’agit entre autres de : la question préalable, ordinaire et extraordinaire et la moitie des femmes condamnées subiront un de ces supplices ou les deux modalités. La présence d’un avocat auprès de l’accusée est refusée (malgré les demandes des corses exprimées dans les cahiers de doléance). Sur 100 criminels 16 seront des femmes Nous en avons relevé 167 pour la période qui subiront des peines et des supplices divers.
Les caractéristiques de la criminalité féminine
Les crimes que les femmes commettent le plus souvent au XVIIIe siècle sont : l’infanticide, le maquerellage, l’empoisonnement et ce que l’on qualifiera plus tard de "Crime passionnel". Délits auxquels viendra s’ajouter en période de crise le phénomène qualifié de banditisme par les archives. Il nous a fallu examiner les 2000 dossiers de criminalité générale étudiés non seulement de 1770 à 1789, mais avant et après en matière de droit comparé et remplacer le célèbre adage " la femme " par celui de " chercher l’homme ". Les femmes intervenant la plupart du temps dans la complicité avec ou pour un homme. Dans ce domaine, les différentes juridiction eurent à juger 513 affaires, dans lesquels une ou plusieurs femme furent impliquées soit une proportion de 12,35 %. Moyenne comparable à celle que l’on trouve dans les ouvrages de criminalité contemporains. A noter que le phénomène du banditisme féminin dans les périodes de crises provoquait une augmentation de ce pourcentage pouvant aller jusqu’à 16%.
Les atteintes aux mœurs : séduites ou séductrices mais toujours coupables.
Le premier défi des femmes à la société commence par les atteintes aux mœurs. Sous l’ancien régime filles et garçons sont mineurs sous l’autorité des parents jusqu’à 25 ans, mais en réalité la femme restera une éternelle mineure et les jeunes gens amoureux en sont quittes a "s’évader" suivant l’expression locale et à se marier dans les maquis devant un autel de feuillage dans le cas où la famille ne ratifie pas l’enlèvement par l’autorisation d’épouser le ravisseur. Le poids des mœurs et de la coutume sont tellement impliqués dans tous les actes de la femme, qu’il est très difficile, voire impossible, d’établir une statistique dans certains cas. La moindre infraction à l’autorité familiale pouvant avoir des conséquences redoutables. La conduite des femmes doit être exempte du plus léger soupçon. Ainsi les femmes rebelles aux dictats imposés par la famille , en commettant des actes aussi simple que de fiancer ou de se marier hors de leur milieu devaient parfois affronter la mort. L’abbé de Germanes dans son Histoire de la Corse et de ses révolutions nous raconte le triste destin de La veuve de Zilia : "Une jeune veuve riche et belle avait un berger et souffrait de solitude.Dans les visites qu’il lui rendait pour apporter les produits du troupeau, le berger eut l’audace de vaincre sa chasteté. La veuve succomba et devint grosse. Un tribunal domestique se réunit qui décida de faire périr celle qui ne pouvait sans se déshonorer épouser son serviteur. Condamnée à boire le poison elle demanda pour se préparer un délai de trois jours durant lequel sa mère et ses frères ne la quittèrent pas. Au matin du troisième jour elle but avec un courage socratique le poison préparé par sa mère et mourut une heure après". La fille (diffamata) - déshonorée, à partir du moment où son honneur ne peut plus être réparé a le choix entre sa propre mort , celle de son nouveau né ou de l’homme qu’elle aime. Ainsi en 1770, Marie-Maryse Cristini est accusée d’avoir étranglé son nouveau né illégitime après avoir accouché et d'avoir ensuite jeté son corps dans l’étang. Elle soutiendra qu’il était mort né étouffé par le cordon au cours de cet accouchement cachée dans sa cave, car si elle avait été découverte le déshonneur pour les siens aurait été tel, qu’elle même n’aurait pu survivre. Accusée d’avoir "tué son enfant en l’étranglant avec une cordelette...", elle est condamnée par le juge royal à être "Pendue et étranglée jusqu’à ce que mort s’ensuive à une potence dressée sur la place du marché et son corps mort porté sur le grand chemin près du village de Volpajolo où elle a commis son crime pour y être exposé". Elle ne sollicitera pas sa grâce. Elle formulera simplement une requête "pour épargner à sa famille la honte de l’exposition de son corps nu à la croisée des chemins.Cela lui fut refusé ainsi que les derniers sacrements". Marie-Marlyse avait elle d’autre choix que la mort ? Mourir par les siens et expier sa honte, ou mourir par la justice et expier son crime. Ce système de non choix va rythmer la vie de ces femmes corses.
La séduction coupable
Le cas de la fille séduite est psychologiquement plus complexe si elle n’a été ni violentée, ni surprise. En pareil cas elle peut échapper à l’accusation d’inconduite et c’est le séducteur qui aura le choix entre épouser ou mourir, le crime de séduction relevant des statuts corses et des lois françaises. A noter cependant, qu’en ce qui concerne les hommes ils peuvent prétendre avoir été "séduits indûment" en raison de l’article 221 du code corse.En effet, nous avons retrouvés 18 procédures d’hommes ‘’séduits’’ y compris huit curés. Pour se défendre ou pour attaquer certains hommes peuvent soutenir avoir été "séduits" et à ce titre invoquer l’indulgence des tribunaux. Ainsi cette curieuse demande en annulation de mariage formulée’’ par une des "victimes" retrouvée dans les archives juridiques et épiscopales : "Le jeune Bernardino réside à 17 ans dans le village d’Ortiporio où il se livre à l’étude des belles lettres. Dans cette retraite studieuse apparaît Anna Maria de Bisinchi qui ayant vu le jeune homme, emploi aux dires du plaignant, toutes les ruses de la féminité pour le rendreamoureux. Apparemment l’entreprise réussit car le couple fréquenteassidûment les bosquets au vu et au su des villageois y compris du curé. Anna Maria attend un enfant et demande le mariage. Bernardini promet et, s’en va poursuivre ses études à Rome d’où il reviendra avec un titre de Docteur. Il envoie un de ses amis qui épouse Anna par procuration. En 1762 on le retrouve à Furiani où, à son retour, il reprend ses relation avec Anna Maria qui se considère comme légitime épouse, puis l’abandonne et demande l’annulation en soutenant "Qu’il a été séduit par une femme déjà mure et veuve". Anna a trente ans. La cour épiscopale donnera raison au plaignant. Anna se retirera avec son enfant et son mariage annulé avec de surcroît la menace de poursuites judiciaires. On sent passer le souffle de Thomas d’Acquin sur ce curieux jugement ecclésiastique.
La prostitution
L’édit de Mai 1771 concernant la juridiction des podestats, la police et l’administration des communes de Corse, donne à ces magistrats le soin de poursuivre la prostitution. Très peu de jurisprudence concernant ce délit peu habituel en Corse de 1769 à 1789. Nous retrouvons cependant le cas de Lucia expulsée de Calvi "car elle s’offre à tout venant et les gens de Calvi en ont la nausée". La sanction la plus ordinaire de la prostitution est la relégation dans une autre piève. La relégation, en arrachant une femme à son milieu et en la transportant sans ressource dans une autre piève avait entre autres inconvénients celui de la réduire à continuer de gagner honteusement sa vie. Dans les autres cas c’était la prison dont le régime général était particulièrement affreux.Si il n’y a pour ainsi dire pas de prostitution officielle, on voit par contre apparaître le maquerellage, et il est durement réprimé.
Le maquerellage
Les peines sont celles portées à l’ordonnance de 1670 : Ce sont la course, la fustigation, le carcan et le bannissement Pour l’époque étudiée 4 cas exemplaires de maquerellage : Marie-Dominique, est accusée à Bastia de commerce public et de maquerellage (Conseil supérieur 25 Novembre 1775) elle est "condamnée à être promenée sur un âne, le visage tourné vers la queue, un écriteau devant et derrière portant l’inscription "maquerelle publique", puis attachée au carcan pour trois jours. Cette femme sera ensuite fouettée et fustigée "toute nue de verges" dans tous les carrefours de cette ville, ayant sur la tête un bonnet de papier sur lequel sera écrit en français et en italien le mot maquerelle puis, marquée aux fers de la fleur de lys, sur la place de la mairie de Bastia. Elle sera de plus bannie pour 9 ans".
(L’entremetteuse que l’on retrouve aussi bien à la ville qu’à la campagne s’explique par l’absence de prostitution vénale officielle). Si les supplices réservés aux coupables femmes et hommes sont en principe les mêmes, il y a une différence essentielle en ce qui concerne les humiliations réservées à la femme. Cette promenade et Cette nudité spécifiques à la femme coupable, aucun homme relevé dans les archives à savoir 84 % ne la subira, qu’il s’agisse de proxénétisme ou non Il s’agit donc d’une peine supplémentaire et exclusivement féminine.
Les bandits au féminin
La fin du règne de louis XIV fut une période frémissante et grinçante. Le schéma structurel et culturel de Paoli et celui de la France à sa venue, vont engendrer un véritable choc des cultures. Durant cette période agitée et violente des bandes armées, dont quelquefois les femmes font partie, parcourent l’île se réclamant du patriotisme et de la lutte contre le conquérant. Les institutions de la justice française qualifieront du terme de ‘’bandits’’ tous ceux et celles qui troublent l’ordre public sans distinction entre les délinquants de droit commun et les mouvements de révoltes politiques et ne feront aucune distinction en fonction du sexe des coupables à propos des châtiments. Les femmes corses vont apparaître dans une forme de criminalité inconnue à cette époque en Europe. Elles iront rejoindre un compagnon, un frère, un père, un fils dans le maquis dans une complicité active et seront parfois pendues à la même potence après avoir été suppliciée afin qu’elles dénoncent leurs complices. Elles ne trahiront pas : (à l’exception d’une seule qui était amoureuse d’un français). Dans le but d’épargner un complice ou une complice, nous avons recueillis des actes d’héroïsmes, aussi bien de la part des femmes que des hommes. Dans le banditisme, certaines de ces femmes vont s’organiser en troupes indépendantes hiérarchisées. De telle sorte qu’il apparaît en filigrane qu’une des raisons qui va précipiter les femmes dans criminalité en dehors du patriotisme, du déshonneur, de la vengeance, et de la misère, et du désir d’émancipation c’est la volonté de recréer le rapport de force avec les hommes. Retrouver peut être ainsi, avec eux, l’amour et l’amitié qui dans la vie habituelle a de la peine à s’exprimer, en raison de la rigueur des mœurs et de la retenue dans l’expression des sentiments.
Violences et homicides
La violence de faible portée est souvent exercée par les femmes. Elle représente environ 20% de la criminalité féminine générale. Nous avons retrouvé la violence féminine dans une proportion plus élevée que le vol : 57 procédures exclusivement féminines concernant l’action brutale de petite ou moyennes portées jusqu’à celles ayant entraîné la mort. Nous retrouvons comme dans toutes les sociétés trois fois plus d’agressions masculines avec violences envers les femmes que le contraire. 4 à 5% d’agression féminines s’adressent à des hommes. Peu de violences de faibles portées d’une épouse légitime contre son mari. Un début de violence serait suivie d’effets trop redoutables pour l’attaquante, en raison du droit de riposte accordé aux hommes par le droit coutumier. La défense de la terre. Les réformes envisagée par la France à sa venue, qui s ‘accompagnent de mesures mal "encaissées" par les habitants de l’île : Plan Terrier, réglementation de la vaine pâture, obligation de clôtures, interdiction de laisser en liberté les animaux, gardiennage trop répressif, réglementation de l’écobuage, vont être le point de départ de multiples conflits entre les communautés et bergers, et les particuliers et bergers. Le contentieux foncier va être à l’origine de tensions nombreuses et de litiges allant de la querelle de mauvais voisinage au crime de sang auxquels les femmes vont participer aux cotés des hommes, ou pour leur propre compte. De plus Les intérêts de classes vont s’affronter à travers la conception du droit de propriété sur l’herbe et le communal et on va très loin dans la vengeance quel qu’en soit les conséquences. Dans ces bagarres pour la terre les femmes s’impliquent. Ainsi, nous content les archives, une certaine Mattéa et "celles de sa bande armées jusqu’au dents et habillées en hommes, administrent de solides raclées aux gars du village qui marchent sur leur plates bandes et jusqu’aux soldats du roi qui tentent de les faire rentrer dans le droit chemin..."
On voit Mathéa et sa "troupe" apparaître et disparaître au fil des archives, sans apparemment être capturées. De même, décidée à défendre son bien, Maria Felicità bergère, affrontera seule à coups de bâton et de pioche, Cosme et sa femme venus s’emparer d’une chèvre de son maigre troupeau. Les voleurs repartent bredouilles après l’avoir gravement blessée au bras. Il est à noter qu’au dires des archives, les voleurs sont plus durement châtiés pour tout ce qui concerne la terre et ce qu’elle porte, que pour les attaques concernant les personnes et surtout il faut bien le dire, si ces personnes sont des femmes. Si pour un vol de chèvre ce sont les galères, pour un bras de femme brisé, une simple amende. Ainsi Appolonia qui à volé un cabri a-t-elle beau se défendre en arguant que c’était "pour le cuisiner à son époux qui est pauvre,travailleur, et aime sa cuisine". Cette épouse aimante sera condamnée à une peine de 10 années de prison. Alors que le mari gourmet ne sera pas poursuivi pour complicité... C’est toujours à propos de la terre que nous retrouvons cette bergère virile et ce laboureur qui, après avoir échangé des coups de bâton tentent de s’entretuer avec des stylets et des fusils et cela : "A l’occasion des mesures prises sur les terres à propos du plan-terrier", et ce procès contre la communauté de Quenza "qui veut étendre le pacage de bergers de Sartène dans le Coscione".
Enfin, de la révolte individuelle on passe aux batailles généralisées. Après avoir décidé de la levée de bouclier sur le seuil de l’église, épicentre des décisions populaires, les femmes y participent activement. Ainsi en fut il en Octobre 1782 à propos de l’appropriation d’un communal par une autre communauté, la communauté de Quenza contre celle du Fiumorbo. Au sortir de la messe, les scribes nous rapportent : "Ceux de Quenza se portèrent avec en tête leur curé et une certaine Rosa, conduisant en troupe les femmes du village, contre ceux du Fiumorbo. Des familles entières participèrent à l’action : enfants, parents, vieillards y compris dans l’énumération des coupables une petite fille de six ans et jusqu’aux chiens des familles qui succomberont avec gloire, après avoir mordu férocement les arrières de l’ennemi. Le curé et Rosa vont périr dans la mêlée".
On distribuera quelques peine de galères, de ci de là au hasard, tellement il sera difficile de dégager les vrais coupables de cette mêlée furieuse généralisée. Inutile de dire que lorsque l’autorité essaye de dissiper la fureur générale c’est elle qui, bien des fois, en fait les frais car cette fureur va se retourner d’un seul élan contre les institutions en vigueur. C’est à l’occasion d’une révolte villageoise contre l’autorité que se situe l’histoire touchante de Maria Gentile d’Oletta qui nous est conté par JM Salvadori : "Son fiancé comptait parmi les rebelles, fut condamné à mort et son corps supplicié exposé sur la roue avec interdiction faite sous peine de mort de lui donner une sépulture.Maria traversera les lignes françaises, la nuit au péril de sa vie, et,avec une force décuplée par la nécessité, transportera le corps de son fiancé qu’elle ira ensevelir dans l’église de saint François. La famille Leccia tout entière sera jetée en prison. Maria, alors, ira se dénoncer".Cette Antigone corse obtiendra sa grâce ainsi que celle de la famille de son fiancé. Mais c’est contre les huissiers et le fisc que se manifeste particulièrement la hargne populaire/, les huissiers sont battus dans l’exercice de leurs fonctions et "un percepteur est enlevé par un groupe de femmes qui ne le rendront que lorsque leurs justes revendications seraient entendues, et ce après en avoir fait ce que bon leur semblerait". Il semble que cette histoire n’ait pas eu de suite le percepteur n’ayant pas porté plainte.
Les empoisonneuses
Sur les Dix huit cas d’empoisonnements en vingt ans retrouvés et prouvés dans les archives, quatre sont effectivement passionnels et comportent toujours la présence d’une ou plusieurs femmes. En France cela était un crime fréquent. La Reynie disait sans ses cahiers : "Que les assassinats par le poison du fait des femmes étaient pratiques communes à Paris dans les campagnes et dans les provinces." Cependant en Corse dans la période étudiée aucune de ces femmes n’agit seule dans l’empoisonnement, mais avec la complicité d’un homme, que ce soit pour hâter un héritage ou sous l’empire de la passion. Maria Paula et consorts sont accusés d’empoisonnement sur la personne de l’époux de la dite (Conseil supérieur 1777) : "Non contente d’avoir empoisonné le père, elle va à l’aide de son jeune amant, se débarrasser du fils devenu gênant". Maria Jeromina qui n’a que quinze ans va supprimer son mari, à l’aide du poison, également avec la participation de son amant. Fait unique elle sera absoute par les tribunaux français qui estimeront "qu’onl’avait mariée à 13 ans avec un barbon de quarante"(Juridiction de La Porta, 1785). Mais les progrès de la criminalistique apparaissent déjà et c’est à cela qu’Anastasia en 1788 devra le salut. Tout d’abord accusée d’avoir empoisonné son mari, elle sera disculpée "car on a fait appel à desexperts qui n’ont pas trouvé de poison dans le cadavre". En 1769 on trouve dans les archives "une femme de soixantequinze qui tente d’empoisonner le curé de la paroisse en saupoudrantd’arsenic les figues mises à sécher dans son jardin". C’est bien la fulgurance de la passion qui arrive à pervertir ces femmes, dont les témoins de l’époque s’accordent à souligner d’une façon très générale l’honnêteté conjugale et la solidarité familiale.
La misère, et le vol
Les délits féminins contre les biens 55% et contre les personnes 70% demeurent les plus nombreux durant la période. Parmi ces infractions le vol et la violence sont les plus répandus .Apanage presque exclusif du populaire, il revêt fréquemment un aspect de nécessité et se pratique d’une manière péremptoire et agressive. C’est une société comptant encore beaucoup d’indigents. L’augmentation de vols d’aliments et de vols d’habits le démontre. Pour le reste la criminalité féminine a quelque rapports avec la misère. Et plus spécialement en période de famine ou de pénuries pour nourrir leurs familles. Des organisations de "Malfaitrices" s’employant à dévaliser des commerces de victuailles , des greniers bien garnis, ou des caves bien fournies ne sont pas rare au XVIIIe siècle en Corse. Marie et ses deux filles de 14 18 ans, volent du grain dans une boutique Elles reconnaissent qu’elles volaient en raison de leur si grande misère. La file ayant avoué, la mère reconnaît et est condamnée à être pendue et les filles bannies de la juridiction pendant trois ans (Juridiction du Cap corse 1774).
La coquetterie aussi. Des bandes de femmes pénètrent par effraction à Bastia et Ajaccio dans des commerces de mode et s’emparent de bijoux, toilettes, chapeaux, perruques, jupons etc. A Bonifacio tissus fins, perruques, et habits sont dérobés par de femmes " Chez Gabrieli" (Juridiction de Bonifacio 13 juillet 1774.). Elles se dénonceront, elles mêmes, dans leur précipitation à paraître revêtues des somptueux atours, des dames de Paris.
La vendetta
En matière criminelle tous les différents qu’ils concernent les mœurs, la défense de la terre ou les biens se règlent par la vendetta : Là nous voyons les femmes apparaître dans leur rôle d’incitation au meurtre. A elles "le Rimbecu" ce défi jeté aux hommes de sauver l’honneur en tuant. Tardivement en 1714, Gènes supprima le "non procédatur", c’est à dire la non intervention de la justice en cas de vendetta simple mais la vendetta était entrée dans les mœurs. A la venue de Paoli la Corse devenus indépendante, à travers la junte nommée par la consulte de Corte en 1735, brûlera sur la place publique symboliquement, les lois génoises. La fameuse "Giustizia Paolina", après 1764, avec sa junte itinérante, sorte de juridiction spéciale particulièrement expéditive, fera régner un ordre qui paraîtra nécessaire aux contemporains pour en terminer avec la vendetta, sans pour autant faire disparaître cette pratique.
La vendetta par degré
A propos de la défense de la terre on observe une curieuse pratique qui ne conduit pas toujours à la vendetta directe et mérite d’être soulignée. Les femmes, bien sur, vont y jouer un rôle. Il s’agit de procéder par degrés dans la vengeance avant d’en arriver à l’homicide, dans l’espoir louable d’épargner les vies humaines.Le premier degré est la menace verbale préventive s’adressant à celui ou à celle qui attente à vos biens. Le second c’est la destruction des biens du fautifs : on empoisonne les étangs, on brûle les forêts, etc. Une servante mal payée en nature par ses maîtres après les moissons, met le feu à la grange. Des notables, le podestat et les pères du commun de Talavo mettent le feu en 1784 aux bois du village voisin, lequel village est accusé d’avoir empiété sur leurs terres communales.Dans Le troisième degré : Après les biens on s’en prend aux animaux. L’on peut comme Antoine commencer par enlever la vache du prédateur et la conduire au taureau, quand les petits veaux sont là on la rend et on est quitte. Au degré supérieur, selon un langage qui précède dans la sémantique les expressions des plus fervents défenseurs des animaux, on passe aux "meurtres d’animaux". L’action est commise de façon revendicative et préventive. On enlève l’animal domestique chien, cheval, et on le tue, ou de fermage porc, vache, veau et on le mange.Au quatrième degré les choses s’enveniment et pour un petit troupeau de chèvre dérobé on enlève la jolie bergère épouse du voleur. On va restituer une partie des chèvres mais la bergère ne sera ni rendue, ni retrouvée.
Les châtiments pour les femmes : trois formes de juridiction
Lorsqu’elles avaient fauté les femmes, contrairement aux hommes qui bénéficiaient au moins de l’indulgence du milieu coutumier devaient affronter trois sortes de juridiction : Les tribunaux domestiques, la justice du roi, et qu’elles échappent ou pas à ces dernières : l’opinion publique. Si l’opinion publique ne les considère pas entièrement lavées de l’opprobre elle les font retomber entre les mains de la justice familiale, contrainte quelquefois de les supprimer définitivement pour que le reste de la famille puisse survivre dans le village (voir la veuve de Zilia). Dans ces cas précis, ne nous étonnons qu’a demi que selon les professeurs Benesh et Aubusson ce soit dans la famille que l’on rencontre le plus d’homicide. L’étude fonctionnelle de la conduite des femmes corses rencontrées dans les pages tourmentées des archives au XVIIIe siècle va permettre au criminologue de distinguer : quatre principaux types de femmes criminelles pour l’époque et le lieu :
1°) La femme de toutes les époques et de tous les pays que les criminologues qualifient d’hormonale ou d’organique et qui réagit d’une manière propre à son sexe et à son tempérament de méditerranéenne et que la passion peut porter à la criminalité : complice, adultère ,empoisonneuse.
2°) La femme que l’on pourrait qualifier par rapport aux deux autres de passive car subissant l’emprise du clan et de la famille. Elle ne choisit pas vraiment d’opter pour la criminalité mais s’y voit contrainte pour sauver sa vie ou son honneur. C’est notamment : le recel de grossesse, l’avortement, l’infanticide.
3°) Cette femmes corse presque virile, matrone, bergère, ayant l’habitude de défendre ses biens et sa famille, de faire le coup de feu comme un homme et que l’on verra quelquefois apparaître dans les rixes ou dans le banditisme : auteur, coauteur ou instigatrice.
4°) Et enfin l’instigatrice plus souvent soupçonnée que découverte notamment dans les affaires de vengeance passionnelle ou de suicide masculin.
Conclusion
Alors les femmes à cette époque, et dans ce milieu victimes ou coupables ? Même si la femmes corses ont été parfois cause de violence criminelles, etl’attacaren est une illustration la plus spécifique, même si elles ont été instigatrices par leRimbecco, elles ont été et sont encore plus généralement, dans la société corses, des éléments régulateurs opposés à la violence dont elles ont été dans le passé plus fréquemment victimes que coupables Elles ne pouvaient déroger aux règles, souvent excessives, qu’imposait la société traditionnelle. Quand elles deviendront françaises elles devront répondre devant une justice pour laquelle la féminité était à priori, un critère de culpabilité. Devant des juges elles ne pouvaient s’exprimer qu'à travers des interprètes, quand il y en avait, car la plupart des accusées appartenaient à un milieu populaire et ne connaissaient pas le français... Ignorantes elles se retrouvaient devant des juges instruits et la présence d’un avocat leur était refusée. Alors elles disaient "non !" Parce que cela se comprend dans toutes les langues Parce qu’elles menacent les ordres établis, politiques ou sociaux et entérinent ainsi une forme d'émancipation qui leur est refusée dans la légalité, elles seront sanctionnées avec une rigueur inquisitoriale. Stigmatisées en leurs temps certaines de ces femmes, ne seraient plus actuellement, des criminelles du tout. Elles ont lancé un défi à la société qui les entourait, et si on les reprouve, dans bien des cas il faut reconnaître que leur sort fut injuste et leurs châtiments exagérés. Elles n’ont bénéficié d’aucune circonstance atténuante bien au contraire. Elles ont subi sans broncher les plus affreux supplices et sont mortes sans le secours de la religion, ce qui correspondait dans l’esprit d’alors, qu’après avoir été les châtiées et suppliciées en ce monde elles étaient vouées de surcroît à un châtiment éternel... Leurs corps ou ce qu’il en restait étaient ensuite exposés à l’orée du village, quelquefois dans sa nudité. Même innocentes et acquittées, rien ne pouvait réparer l’opprobre qu’elles avaient eu à subir. On les avait traitées comme de criminelles, objets de honte elles n’étaient pas réintégrées dans la communauté, sauf peut-être à travers le banditisme patriotique ou le crime d’honneur. Je vais maintenant vous révéler un secret : Lorsque le soir tombait sur les archives jaunies où j’étudiais émue ces tristes témoignages du passé, il me semblait ressentir la présence de ces femmes, voilées de noir, venant depuis les ténèbres de l’histoire pour m’interpeller depuis l’intérieur de moi même. Elles réclamaient, à travers le temps, que l’on rende aux réprouvées de jadis une justice équitable : ne serait-ce que pour mieux défendre celles d’aujourd’hui,notamment dans différents pays où les lois n’ont pas bénéficié de la même évolution.Aussi une des pistes actuelle de la criminologie est de chercher l’interprétation de la femme à l’aide des nombreux travaux en cours, comme celui-ci. Cette prise de conscience n'est pas, sans bénéfices : elle va de pair avec des interventions pratiques qui ont une efficacité réelle. Car pour la science criminologique, il ne sert à rien de nier et de refouler ce qui nous gène dans la société mais de travailler pour trouver des solutions et des remèdes. Ainsi les pauvres femmes corses criminelles ne seront pas revenues en vain à la lumière et nous pourrons dire avec Paul Valéry : "Si l’histoire ne permet guère de prévoir, elle nous permet au moins de mieux voir."
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