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Article - La Corse à la télévision des origines à nos jours (le début des années 80)

Dernière mise à jour de cette page le 07/11/2012

A partir des années 1980,la Corsedevient un objet médiatique de premier plan. L’île qui avait jusqu’alors souffert d’une carence d’images, suscite un fort intérêt. Cela est lié en partie à la liberté de ton qui s’impose dans le PAF au début des années 1980. Avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, la préparation d’un Statut particulier pourla Corse, de nombreuses initiatives vont être prises pour la télévision.

Premières interrogations télévisuelles autour de l’« identité » corse

A la télévision, de nombreuses émissions au ton nouveau apparaissent alors. Voici un premier exemple d’émissions sur lesquels nous reviendrons. La première émission à traiter de la Corseaprès l’élection présidentielle de 1981 est Mémoires de Francede l’historien Pascal Ory [1] qui se penche sur l’histoire de la Corse. Ce magazine est le nouveau magazine historique des pays de France sur FR3. Il est entièrement réalisé en région, de la conception au tournage, du plateau en direct aux finitions. Pour l’historien, il s’agit de médiatiser une « histoire collective plus thématique qu’anecdotique » [2]. L’émission se construit autour de trois parties : une première de quarante-cinq minutes intitulée un peuple, la deuxième autour d’un témoin de quinze minutes, réalisée dans les conditions du direct avec un homme public concerné par la région mais non historien ; et enfin une troisième partie, plus courte, qui est un reportage sur un lieu peu connu de la région.

En Corse, Pascal Ory affiche l’ambition « d’actualiser l’histoire » et veut s’attaquer à la personnalité de Pascal Paoli jusque-là peu médiatisée. Il s’agit d’une contradiction avec l’ambition de l’émission qui ne se consacre pas aux grandes figures. Pascal Ory s’en explique de la façon suivante : « Il n’y a pas de contradiction : c’est l’histoire du peuple corse, les problèmes de l’autonomie et du régionalisme à travers ce leader. L’anecdote, le genre "Paoli était sans doute impuissant, il était toujours accompagné de son chien ", tout ça ne m’intéresse pas. Le film répond en revanche à des questions. Qu’avait donc à faire la Franceen Corse à la fin du XVIIIème siècle ? Que veut dire être Corse, être Français en ce temps-là, et aujourd’hui ? Le destin de Paoli m’a passionné. Il est, selon moi, le Che Guevara de l’époque admiré par l’intelligentsia européenne libérale, Frédéric de Prusse, Voltaire, Rousseau… » [3].

Un reportage très attendu par les Corses. D’ailleurs, des groupes corses, très peu médiatisés jusqu’alors, ont réalisé la musique de l’émission. Il s’agit des groupes A Filetta et A Cumpagnia.

La deuxième partie de l’émission est consacrée à Pascal Arrighi, homme politique de droite. Pascal Ory a bien conscience que son choix est très consensuel, il s’en justifie donc devant la presse : «  Je n’ai pas pu avoir Edmond Simeoni, il a refusé, trop concerné par la préparation de la loi sur le statut de la Corse.Arrighiest un prototype de l’homme politique corse. On lui reproche d’être lié aux clans, il contre-attaquera d’ailleurs ce soir sur le thème : " Qui ne l’est pas en Méditerranée ?". Son lien "historique "  avec Paoli et bien sûr l’Université de Corse. Paoli l’a créée, Arrighi en fut le premier président à sa réouverture, l’an passé. D’autre part, Arrighi est apparenté au RPR et le mois suivant mon prochain invité serait Pierre Mauroy pour la région lilloise. Pour la Corse, j’aurais pu inviter l’amiral Sanguinetti [4] mais je ne veux pas qu’on puisse dire que je fais une émission PS. J’actualise l’histoire, c’est tout » [5].

L’émission est cependant bien reçue par les partis de gauche qui se félicitent de la nouvelle liberté de ton de la télévision nationale : « Evènement politique à FR3, nous écrit le bureau fédéral du PCF de Haute-Corse. Une émission digne de ce nom enfin consacrée à la Corse, à son histoire, à l’homme qui l’a plus que tout autre incarnée : Pasquale Paoli. L’hommage rendu à " U Babbu di a Patria ", à son peuple, à son incessant combat pour la liberté, la dignité, son droit à être lui-même. Pasquale Paoli sorti des oubliettes grâce à notre ami Ange Rovere qui a eu le mérite de restituer dans sa complexité et dans sa dimension la figure historique d’un véritable héros national, délibérément ignoré par les manuels scolaires. Une émission inconcevable avant l’arrivée de la gauche au pouvoir… » [6].

Mais le choix de Pascal Arrighi comme intervenant est gênant : « Une ombre au tableau, la seule présence de M. Pascal Arrighi, témoin à charge au demeurant, défenseur et admirateur de Marbeuf, abusivement lavé de toute accusation de répression et présenté comme le bienfaiteur de la Corse » [7]. L’historien cherche d’ailleurs, en débattant avec Pascal Arrighi, à créer des parallèles avec la situation politique : « Précisément, il était peut-être folklo, à entendre M. Pascal Arrighi prononcer le nom de Marbeuf, de demander si Napoléon était le fils du gouverneur, mais c’était dévoyer le débat. Dans le même ordre d’idées, s’agissant du clan, qu’avait à faire, dans une émission qui se voulait historique, l’allusion à un vice-président du Conseil Général assassiné à coups de 11,43 ? » [8]. Il semble qu’il existe encore quelques difficultés à aborder sereinement la question de « l’identité » ou le « problème corse ».

Créer une dynamique identitaire

Malgré tout, la vision régionale sur l’espace va s’affranchir de ce qui était nommé communément « radio-télévision-préfecture ». La loi de décentralisation de 1982 joue un rôle prédominant dans les orientations de la télévision régionale. En redistribuant les compétences et en attribuant des pouvoirs supplémentaires aux régions, la loi accroît leur indépendance et par là même leur désir et leur devoir de se « vendre » [9]. Il est devenu désormais impossible aux régions de ne pas satisfaire aux obligations de communication. Cette politique s’applique aussi à l’audiovisuel. Le service public de télévision régionale contribue à la notoriété et à la promotion de la région même si, comme l’affirme Pierre Musso « c’est la région qui fait la télévision et non la télévision qui fait la région » [10]. En effet, comme l’exprime le journaliste Sampiero Sanguinetti lors du congrès du SNJ les 21 et 22 mai 1981, les régions sont en attente de l’expression de leur « identité » : « Le foisonnement des projets et des réalisations dans les domaines des publications, de l’audiovisuel et des radios, témoignent de ce besoin extrême d’expression » [11]. Car, plus que le traitement des faits, il y a à créer en Corse une expression régionale, un traitement médiatique : « Les questions qui nous sont posées à travers tout cela ne tiennent pas réellement au traitement ou à la censure des faits. Elles tiennent à notre langage, aux valeurs que consciemment ou inconsciemment nous véhiculons, au laminage, sous des prétextes économiques et politiques, des personnalités. C’est toute la dimension culturelle de notre profession qui est posée et je ne suis pas sûr que nous ayons dans ce domaine suffisamment exploré les problèmes qui se posent » [12].

Une de ces premières innovations en matière de stratégie communicationnelle est la volonté de création d’une télévision de proximité en région. Seules certaines régions adopteront cette démarche. Être « " proche desgens "c’est d’abord être capable de leur donner la parole, ou plutôt », rectifie Edouard Guibert, « c’est leur permettre de la " prendre " » [13]. Parmi les expériences les plus probantes, il faut compter celles de régions fortement typées au plan géographique, culturel ou linguistique comme l’Alsace, la Bretagne ou la Corse. « C’est vrai que l’insularité, l’absence de télévision pendant des années, la possibilité d’utiliser une langue..., toutes les conditions étaient réunies. Il y avait beaucoup de facteurs prédéterminés et je crois que ça a bien marché et qu’on pourrait aller encore plus loin dans ce domaine. Ce qui s’est fait en Corse s’est fait à contre-courant et de façon minoritaire, avec une démarche presque scientifique, avec ce qu’implique la recherche : tâtonnement, expériences, réflexion, débat » [14].  Selon Jérôme Bourdon, « C’est en Corse qu’on passera le plus près de la réalisation de l’autogestion rédactionnelle » [15]. Ainsi, en mai 1981, Guy Thomas, directeur de l’information à FR3 nomme le journaliste Sampiero Sanguinetti, chef du service de la radiotélévision en Corse. Autour de lui se constitue une équipe de journalistes très motivés. De plus, celui-ci « jouit alors d’une autonomie considérable par rapport à ses prédécesseurs, les moyens de la télévision corse croissent fortement et la plupart des pigistes sont titularisés afin de constituer une véritable rédaction » [16]. Au bout de quelques mois, il cumule les fonctions de chef du service et de rédacteur en chef. Á l’antenne, les choses changent très vite. La langue corse conquiert droit de cité quotidien y compris pour parler de l’actualité générale (le sport notamment) [17]. Les émissions en langue corse passent d’une durée de 8h27mn en 1981 à 8h 40 en 1982. L’équipe de FR3 Corse réalise bientôt trois magazines par semaine, puis cinq [18]. Cependant, la grande réalisation de cette époque est le journal télévisé. Ambition affichée par Sampiero Sanguinetti dès son arrivée :Corsica Sera est inauguré le 16 décembre 1982.

[1] Pascal Ory, né en 1948, est un historien français, élève de René Rémond, spécialiste d'histoire culturelle et d'histoire politique.

[2] « Mémoires de France, Pascal Ory, l’homme qui veut actualiser l’histoire »,Libération, 31/01/1982.

[3] Idem.

[4] Idem.

[5] P. Silvani, « Mémoires de France »,La Corse-le Provençal, 01/02/1982.

[6] Idem.

[7] Idem.

[8] Idem.

[9] Idem.

[10] Idem.

[11] Exposé de Sampiero Sanguinetti, congrès d’Ajaccio le 21/22 mai 1981.

[12] Idem.

[13] Idem.

[14] Idem.

[15] J. Bourdon,Haute fidélité : Pouvoir Et Télévision, 1935-1994, Seuil, Paris, 1994, p.237.

[16] Idem.

[17] Ibid, p.69.

[18] Lors de la création du 19/20 en janvier 1986, FR3 Corse sera l’un des rares BRI à ne pas le diffuser en entier, pour laisser la place à ces magazines quotidiens.

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